Le projet de loi « Démocratie sociale et temps de travail »
Je reviens sur la déclaration du ministre du Travail, Xavier Bertrand qui, après le vote de l’amendement parlementaire, le 7 juillet, tentait d’endormir l’opinion public en disant que : "Les plafonds évoqués sont des maxima. Si des jours fériés sont chômés, ils le demeureront. Ca ne sert à rien de chercher à faire peur."
Il est faux de dire que les travailleurs salariés disposent d’une marge de manœuvre pour négocier quand la technologie permet de produire d’avantage avec de moins en moins de personnes et que l’employeur dispose de l’arme ultime de la délocalisation pour faire plier ses employés.
Ensuite, petit détail qui a son importance, les plafonds évoqués dans l’amendement sont des maximas qui seront appliqués à défaut d’accord collectif entre l’entreprise et les représentants des salariés. L’employeur va donc pouvoir faire ce qu’il veut en matière de temps de travail. Enfin presque car il convient de noter que cet amendement est une modération du projet de loi « Démocratie sociale et temps de travail » déposé par le gouvernement.
En effet, voici l’analyse que faisait le député PS Dominique Raimbourg, le 2 juillet, sur ce projet de loi (disponible sur son site Internet http://www.dominiqueraimbourg.fr) :
« […]
La conclusion des conventions individuelles de forfait en jour ou en heures sur l’année sera définie principalement par accord d’entreprise.
Ainsi, les forfaits annuels en jours seront réservés aux cadres considérés comme autonomes et aux salariés dont la durée de travail ne peut pas être déterminée et qui disposent d’une réelle autonomie. La durée maximale de 48 heures par semaine n’est pas applicable à ces salariés. Ils ne seront protégés que par la durée de 11 heures de repos consécutifs par 24 heures, le repos hebdomadaire et les congés payés.
Le forfait fixé par la loi à 218 jours pourra, à défaut d’accord d’entreprise, atteindre jusqu’à 280 jours par an (NdA : 280 j = 365 j – 52 jours de repos hebdomadaire – 9 jours ouvrables fériés - 24 jours ouvrables de congé payé ; le projet de loi prévoit une rémunération forfaitaire majorée d’au moins 10 % à partir du 219ème jour).
Ces salariés pourront travailler 280 jours, 6 jours sur 7, jusqu’à 13 heures par jour dans la seule limite de 60 à 65 heures par semaine, en cas d’adoption de la nouvelle directive sur le temps de travail que viennent d’approuver les ministres européens (NdA : notamment le ministre français Xavier Bertrand, sachant que son prédécesseur s'était toujours opposé à la demande britannique de relever le plafond du temps de travail qui est, pour l'instant, fixé à 48 heures hebdomadaires) .
De même les forfaits annuels en heures seront ouverts à tous les salariés disposant d’une autonomie dans leur emploi du temps.
Là aussi, ces salariés pourront être obligés de travailler jusqu’à 60 à 65 heures par semaines, en cas d’adoption de la nouvelle directive européenne. »
Alors que pensez de cette « avancée » sociale, votée le 7 juillet dernier par les députés UMP-NC ?
Voici un extrait des commentaires de Bernard Van Craeynest, président de la CFE-CGC, syndicat des cadres (propos recueillis par François Vignal dans Liberation.fr, le 8 juillet).
Le patron pourra-t-il imposer le
plafond de 235 jours ?
Il pourra dire qu’il a la loi
avec lui. C‘est d’autant plus scandaleux que le gouvernement a
récemment souligné le problème de la santé
au travail, des risques psycho-sociaux. Le législateur doit
être protecteur, notamment pour la santé au travail. Or
le gouvernement fait l’inverse de ce qu’il dit. Il permet les
conditions pour altérer la santé des salariés.
Les
salariés des entreprises moyennes ou grandes, où les
accords d’entreprise seront plus faciles, sont-ils pour autant
protégés ?
Jusqu’à présent,
avec le plafond à 218 jours par an, il y a eu des accords en
dessous du plafond. Mais là, avec un plafond de 235 jours, les
négociations ne viseront pas à maintenir les 218 jours,
mais pourront amener à porter le plafond à 220 ou 225
jours. Encore faut-il qu’il y ait un accord collectif d’entreprise.
Pour cela, il faudra un rapport de force. Là où il
existe une capacité à défendre les intérêts
des salariés, le patron ne pourra pas faire ce qu’il veut.
Mais il pourra dire aussi in fine, «si vous n’acceptez pas de
travailler plus, je délocalise, je diminue l’activité
sur le site.»
Le texte doit encore passer devant le
Sénat. Espérez-vous une modification ?
Nous travaillons auprès
des sénateurs. Nous allons voir le rapporteur du texte
aujourd’hui pour lui faire comprendre notre position. Nous
constatons que le Sénat a su se montrer plus raisonnable que
les députés ces derniers temps. Mais il y a eu une
déclaration d’urgence, c’est-à-dire qu’après
le passage au Sénat, et un éventuel passe en commission
mixte paritaire en cas de désaccord, la loi sera adoptée.
Si le texte définitif reste en l’état, nous
déposerons un recours auprès de la Cour de justice des
communautés européennes.
Voici quelques précisions sur les possibilités de recours auprès de la Cour de justice des communautés européennes et ses enjeux.
Le projet de loi accorde la priorité à l’accord d’entreprise. Il ne sera donc plus possible aux salariés de bénéficier de dispositions plus favorables d’un accord de branche. Les règles d’organisation du travail (organisation du temps de travail, paiement des heures supplémentaires, repos compensateur, …) vont devenir spécifiques à chaque entreprise d’une même branche et un objet de concurrence entre elles. Le marché de l’emploi étant défavorable aux salariés, cette logique va conduire inévitablement à un nivellement par le bas des conditions de travail.
L’analyse faite par Dominique Raimbourg dans sa note du 3 juillet dernier sur la jurisprudence de la Cour de Justice Européenne ne permet pas d’être optimiste : si la loi donne la possibilité aux entreprises de déroger aux accords de branche alors elles perdront leur caractère d’application générale et elles ne seront plus opposables à un sous-traitant d’un autre état membre mettant à disposition du personnel pour réaliser une prestation sur le sol français. Le dumping social entre entreprises françaises et aussi avec les entreprises des autres pays de l’union européenne va donc être considérablement renforcé avec ce projet de loi.
Par ces quelques explications, j’espère que vous apprécierez à sa juste valeur le grand élan de générosité des députés UMP+NC qui est à l’origine de cet amendement.
Notez que le 15 septembre 1955, les salariés de la régie Renault ont obtenu la troisième semaine de congé payé. Ils avaient donc 15 jours ouvrés de congé payé + 11 jours fériés + 104 jours de week-end pour se reposer, c'est à dire qu'ils ne travailleraient plus que 235 jours dans l'année.